jeudi 31 mars 2011

LA CORRIDA DEVIENT UN SPORT

Cette année encore, nous vivrons en France, en Espagne et au-delà, une confrontation stérile car elle n’a jamais produit de solution :  la lutte farouche  des pro et des anti-tauromachie ; au nom du patrimoine et des traditions d’une part, au nom du respect de l’animal d’autre part. L’automne s’achèvera évidemment sur un essoufflement des passions, comme s’il importait davantage de s’affronter régulièrement que d’envisager une issue dynamique au problème.

Il me semble que nous soyons enlisés dans une vision binaire, informatique du problème, comme lorsqu’il s’agit par exemple délire l’un ou l’autre, qu’il est nécessaire d’être en accord ou en désaccord, d’aimer ou de détester, de condamner ou d’absoudre, d’« Etre ou ne pas être »  : c’est là la seule question.Je reste pour ma part persuadé de la magie du triangle : de sa base issue de deux points, s’élance la voie du milieu. Cette figure ne produit-elle pas la flèche qui montre la direction où se situe le compromis qui libère la tension ? 

  Tout peut en effet toujours être transformé. Prenons l'exemple de la boxe anglaise issue du pugilat grec. Le pugilat était un sport de combat au corps à corps, avec un usage exclusif des poings. Les combats étaient très violents puisque, pour pouvoir frapper plus fort, les pugilistes protégeaient leurs poings de himantes, des courroies de cuir que les Romains adoptèrent sous la forme des cestes, et recouverts de lamelles de métal à partir du IIIe siècle. En témoigne encore le pugiliste des Thermes, une statue en bronze qui représente un athlète après le combat, les oreilles coupées, le visage et les mains couverts de blessures. Sous sa forme romaine, le pugilat était l'une des plus anciennes disciplines des jeux du cirque, avant l'apparition des combats de gladiateurs. Il ne pouvait s'achever que sur abandon ou sur K.-O., la mort d'un des participants étant un événement très rare. De nos jours, la boxe anglaise, quoique non dépourvue de dangers (on connaît les séquelles des coups répétés au cerveau) reste un combat très codifié.

De la même manière, peut-on encore laisser la tauromachie évoluer dans des règles assimilables aux combats sans merci de temps révolus (à moins que ces derniers ne le soient pas) ? Il est, à mon avis, opportunément temps d’organiser nos corridas en termes de joutes sportives. Qu’est ce qu’une corrida ? Un homme entrainé et un animal contraint à défendre sa vie, qu’il perdra de toute façon. Pourquoi l’issue de leur rencontre devrait-elle  immanquablement provoquer la mort de l’animal, accompagnée de tortures affaiblissantes ? Peut-on parler de loyauté ? Je veux bien qu’il s’agisse originellement d’un sacrifice offert à la foule : le héros, le mythe du chef, seul capable d’affronter la rudesse des temps héroïques de la Préhistoire, et déposant aux pieds du clan la nourriture nécessaire à sa survie. Mais nous ne vivons plus dans ces temps difficiles.

Il n’est pourtant pas bien compliqué de transformer la corrida en joute sportive. Je m’abstiens de soulever le droit de l’animal à refuser le rôle qu’on lui attribue : je devrais étendre mon promo aux polémiques sur la chasse. D’autres s’en chargent et non sans intelligence. 

Comment cela serait-il organisé ? Le toréro ne serait plus armé - il ne serait plus le matador (en espagnol "le tueur") - et le taureau ne pourrait le blesser par ses cornes : comme il est impensable d’avoir à les supprimer, elles seront rendues inoffensives. On peut imaginer un casque de cuir absorbant le haut de la tête, du même usage que les gants du boxeur remplaçant les lames de métal aux mains des pugilistes romains.

Que fait à la base le toréro ? Il effectue avec la bête des figures de style, habituellement saluées de « Olé » ponctuant leurs réussites. Ces dernières pourraient être largement suffisantes à notre plaisir et  évaluées par un jury de professionnels et l’approbation du public : estimer la réussite de la prestation à la manière d’ un concours. D’ailleurs, ne parle-t-on pas en termes de danse lorsque l’on évoque les passes magnifiquement nommées « La passe de cape », « Le farol », « La Véronique » et ses variantes, « La Larga », « La Ganoera » du nom de son créateur mexicain, « La Maripa » (le papillon), et les figures qui achèvent généralement les passes…avant la mise à mort : « para rematar » (pour conclure) consistant en une demi-véronique ou une véronique, ramenant la cape au niveau de la hanche ; ou bien la « Revolera », la cape s’enroulant autour du torero qui pivote. Et cela nous suffirait bien : nous assisterions à une belle chorégraphie amputée de la nécessité de s’achever dans la douleur, la mort et le sang. Nous verrions, de plus, davantage de subtilité dans les arènes puisqu’y descendraient alors des concurrents davantage attachés à la beauté du sport qu’à la violence de sa finalité : je veux parler des toreras ! 

Mais peut-être ne sommes nous pas prêts à remettre en question notre attirance morbide de la torture (aux autres) et continuons-nous à refuser l’émergence d’un monde plus subtil, plus féminin, pourtant garant d’un meilleur équilibre général ?

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